Dans l’édition du 10 janvier, la journaliste Laurence Boisseau explique « Face aux réticences allemandes, les grands groupes français prennent position pour la CSRD, un pilier de la finance verte en Europe. Ils soulignent l’importance de ces réglementations pour la compétitivité européenne et appellent à ne pas céder sur les exigences de durabilité.
Le malaise allemand
Face à une crise économique de l’industrie largement due à la fermeture des gazoducs livrant du gaz russe, voilà des mois que les politiques et dirigeants allemands tentent de mettre à mal les réglementations environnementales décidées par la Commission européenne lors de sa précédente mandature. Le 2 janvier, Olaf Scholz, le chancelier allemand, a même sorti l’artillerie lourde : « Là où des projets nuisent à la compétitivité, il faut les reporter, voire les supprimer », a-t-il écrit dans une lettre adressée à la présidente de la Commission européenne.
Dans son viseur : la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), adoptée en 2022 et entrée en vigueur en 2024. Essentiel à l’édifice du cadre réglementaire de la finance verte, ce texte oblige les grandes entreprises à analyser, publier et documenter leur impact en matière sociale et environnementale. Pour plus d’informations, voir notre article à ce sujet.
Candidat à sa propre succession dans le cadre des élections législatives anticipées, Olaf Scholz milite pour que la mise en œuvre de la directive soit retardée et sa simplification accélérée. Mi-décembre, quatre ministres allemands avaient déjà fait une requête similaire.
Le moment est opportun pour mettre la pression sur Bruxelles. Le 26 février, se tiendra une réunion du collège des commissaires européens. À l’ordre du jour : la renégociation de certains points des directives sur le devoir de vigilance (CS3D), sur le reporting de durabilité et sur la taxonomie verte dans le cadre de la législation européenne dite « Omnibus ».
L’Allemagne n’a toujours pas transposé la CSRD. Pourtant, la date d’échéance était juillet 2024. Résultat : la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre Berlin.
La position des grands groupes français
En novembre dernier, les propos de Michel Barnier, alors Premier ministre, favorable à une forme de moratoire pour décaler l’application de la CSRD, ont pu donner l’impression que la France partageait la même opinion que son voisin. Le MEDEF et la CPME ont émis des réserves elles aussi.
Or, lundi matin, des grands groupes français ont exprimé un point de vue très différent. Le Collège des Directeurs du Développement Durable, le C3D, qui réunit plus de 380 dirigeants de RSE de grands groupes français (Bouygues, EDF, Amundi, l’Oréal, Carrefour, Veolia, Lagardère, etc.) a demandé à la Commission de respecter l’intention initiale de la CSRD et son agenda.
Pragmatique, l’association reconnaît qu’il est possible de procéder à certains aménagements pour faciliter la vie des entreprises, surtout les PME qui doivent reporter à leurs donneurs d’ordre, mais estime qu’il est possible de simplifier sans dénaturer. Notons au passage que les PME non cotées ne sont pas concernées par la directive en question et qu’un cadre de reporting ultra-simplifié leur est proposé sur une base volontaire (voir notre article au sujet du cadre VSME).
Ces grands groupes ont eux-mêmes fait l’exercice et les premiers rapports sortiront cette année. Ils ont engagé des moyens pour être les premiers sur cette réglementation exigeante, notamment en termes de collecte de données, leur positionnement est donc cohérent.
« Nous recommandons une mise en œuvre graduelle qui conserve la substance même des actes législatifs », écrit Fabrice Bonnifet, président du C3D. Les réglementations en matière de durabilité ne garantissent pas seulement les conditions de concurrence équitables, mais elles renforcent également la souveraineté européenne. Le report ou la dilution de ces réglementations nuirait à la compétitivité de l’Europe et donnerait des avantages spécifiques aux normes étrangères », a-t-il ajouté.
Compétitivité de l’Europe
Le C3D va même plus loin en demandant d’avancer de deux ans la date d’application de la directive aux entreprises non européennes, de 2029 à 2027. Ce serait même « une preuve que l’Europe protège les intérêts de l’entreprise », conclut-il.
L’Allemagne estime, à l’inverse, que les nouvelles contraintes entravent la compétitivité de l’Europe. Ce, alors que Donald Trump, qui prendra ses fonctions le 20 janvier, a promis d’imposer des droits de douane sur les importations européennes.
La situation est très différente des deux côtés du Rhin. Dans l’Hexagone, les grands groupes cotés, qui doivent publier leurs rapports de durabilité en 2025, ont déjà bien avancé, voire les ont terminés. Ces rapports ont par ailleurs été audités ou vont l’être par un commissaire aux comptes ou un prestataire agréé dans ce but.Outre-Rhin, les entreprises n’ont pas commencé l’exercice puisque la directive n’a toujours pas été transposée.
En conclusion, le signal des grands groupes est important en ce début 2025, à l’heure où de nombreuses ETI concernées pour un reporting en 2026 se posent de nombreuses questions : est-il plus stratégique d’entamer la démarche ou d’attendre un changement législatif ?
Des aménagements à Bruxelles sont certes à prévoir sans connaitre leur nature et leur étendue. Par conséquent, en repoussant les travaux de réflexions sur ces sujets les ETI risquent de manquer aux attentes de toutes leurs parties prenantes, en particulier les financeurs. En effet, la banques et les investisseurs appliquent désormais par leur Climat Score des exigences accrues sur ces sujets. Passer du déclaratif ESG (rapports DPEF, RSE) à un reporting normé (volontaire ou non volontaire) est bien un des 3 thèmes clés des entreprises aujourd’hui avec l’IA, la Cyber Sécurité.